Home  |  Bio  |  Textes  |  Discours  |  Citations  |  Photos  |  Liens  |  Crédits  |  Livre d'Or  |

  Extraits d'une interview parue dans le magazine "Play Boy" de 1965


Playboy - Pasteur King, vos enfants sont ils assez grands pour prendre conscience des questions en jeu dans le mouvement pour les droits civiques et du rôle que vous y tenez ?


M.L.King - Oui, tout particulièrement mon aînée, Yolanda. Il y a deux ans, je m'en souviens, je revenais de purger une peine à la prison d'Albany, en Géorgie, et elle m'a demandé : "Papa, pourquoi dois tu aller si souvent en prison ?" Je lui ai dit que j'étais engagé dans une lutte pour améliorer les conditions d'existence des Noirs, et par conséquent de tout le monde. Je lui ai expliqué que, les choses étant ce qu'elles sont, quelqu'un doit prendre position, et il est nécessaire pour quelqu'un d'aller en prison, car beaucoup de dirigeants sudistes cherchent à maintenir les barrières dressées dans le passé pour tenir à l'écart les gens de couleur. J'ai cherché à lui expliquer que quelqu'un devait le faire pour rendre le monde meilleur - pour tous les enfants. Elle n'avait que six ans, à cette époque, mais elle était déjà consciente de l'existence de la ségrégation à cause d'une expérience personnelle que nous avions traversée.


Playboy - Cela ne vous ennuierait pas de nous la raconter ?


MLK - Pas du tout. Ma famille avait l'habitude de m'accompagner souvent à l'aéroport d'Atlanta et, en chemin, nous passions devant Funtown, une espèce de Disneyland en miniature avec des manèges et des choses de ce genre. Et Yolanda ne manquait jamais de dire : "Je veux aller à Funtown", et j'évitais toujours de lui répondre directement. En réalité, je ne savais comment lui expliquer qu'elle ne pouvait pas y aller. Puis un jour, à la maison, elle monte me dire qu'il y a une annonce à la télévision pour inviter tout le monde à Funtown. Alors ma femme et moi avons dû nous asseoir avec elle, la mettre entre nous deux, et tacher de lui expliquer. J'ai un certain succès, comme orateur, mais ma langue se nouait et je m'empêtrais dans mon discours en tâchant d'expliquer à ma petite fille de six ans pourquoi cette invitation faite au public, par la télévision, ne s'adressait ni à elle, ni à d'autres enfants comme elle. L'une de mes expériences les plus douloureuses de ma vie a été de la voir pleurer lorsque je lui ai dit que Funtown était fermée aux enfants de couleur ; car j'ai compris qu'à ce moment le premier nuage noir d'un sentiment d'infériorité s'était mis à flotter dans son petit ciel mental et qu'à ce moment sa personnalité commençait à se déformer sous l'effet d'un premier sentiment inconscient d'amertume envers les Blancs. C'était la première fois qu'il avait fallu lui expliquer les préjugés fondés sur la couleur de la peau. Mais il était d'une suprême importance pour moi qu'elle ne grandisse pas dans l'amertume. Aussi lui ai-je dit que si beaucoup de Blancs s'opposaient à ce qu'elle aille à Funtown, il y en avait beaucoup d'autres qui voulaient y admettre les enfants de couleur. Cala permit d'arranger un peu les choses. Et un peu plus tard, j'ai eu l'agréable surprise d'appendre que Funtown avait renoncé sans fanfare à toute ségrégation de sorte que j'ai pu y emmener Yolanda. Un certain nombre de Blancs qui s'y trouvaient ce jour là m'ont demandé : "n'êtes vous pas le pasteur King ? Est-ce votre fille ?" Je leur ai répondu par l'affirmative et elle a pu les entendre dire combien ils étaient heureux de nous voir parmi eux.


Playboy - Vous avez grandi dans le confort et l'aisance matérielle d'un foyer de la classe moyenne, protégé contre la société, à Atlanta. Vous est il possible de vous rappeler quand vous avez pris personnellement et douloureusement conscience des préjugés raciaux ?


MLK - Je m'en souviens très clairement. A quatorze ans, je suis allé d'Atlanta à Dublin, en Géoergie, en compagnie d'un professeur que j'aimais beaucoup, Mrs Bradley ; elle est morte depuis. Je devais participer à un concours d'éloquence patronné par les Negro Elks (le club des élans Noirs). Ce fut un jour mémorable car je réussis à remporter le concours. Par une curieuse ironie du sort, mon sujet, je m'en souviens, était :"Le Noir de la constitution". Quoi qu'il en soit, nous avions pris le bus, ce soir là, pour rentrer à Atlanta. Dans une petite ville, sur la route, quelques passagers blancs sont montés à bord et le chauffeur blanc nous a ordonné de nous lever pour laisser les sièges aux blancs. Comme nous n'obtempérions pas assez vite, à son gré, il s'est mis à nous insulter et à nous appeler "enfants de putes noirs". J'avais l'intention de rester à ma place, mais Mrs Bradley m'a finalement demandé de me lever, en disant que nous devions obéir à la loi. Nous sommes restés debout dans le couloir tout au long des cent trente kilomètres qui restaient à couvrir jusqu'à Atlanta. Cette nuit ne sortira jamais de ma mémoire. Je n'ai jamais été aussi furibond pendant toute ma vie.


Playboy - N'est ce pas un autre incident survenu dans un autobus qui a décidé de votre rôle actuel comme chef du mouvement pour les droits civiques ?


MLK - Oui, c'était à Montgomery, dans l'Alabama, en 1955. Un employé des wagons-lits, appelé E.D.Nixon, membre de longue date de la NAACP (National Association for the Advancement of Coloured People : Association nationale pour le progrès des gens de couleur), m'avait téléphoné, très tard, une nuit, pour me dire que Mrs Rosa Parks avait été arrêtée vers sept heures trente, ce soir là, lorsqu'un conducteur de bus lui avait demandé de céder sa place et qu'elle avait refusé parce qu'elle avait mal aux pieds. Nixon l'avait déjà fait sortir en payant sa caution. Il dit : "Il est temps que ça cesse ; il faut que nous boycottions les autobus." J'étais d'accord avec lui et je répondis : "Tout de suite". La nuit suivante, nous avons convoqué une réunion des dirigeants de la communauté noire pour en discuter, puis le samedi et le dimanche, nous avons appelé la communauté noire, en chaire et par prospectus, à boycotter les autobus le lundi. Nous avions l'intention de limiter le boycottage à une journée et nous comptions sur un succès de 60 %. Mais le succès fut instantanément de 99 %. Nous étions si impréssionnés par cette bonne surprise que nous avons continué et que le boycottage des autobus de Montgomery par les Noirs a duré trois cent quatre vingt un jours avec un succès de 99 %.


Playboy - Nous l'emporterons est devenu le chant officieux et le slogan du mouvement pour les droits civiques. Pensez vous que des hymnes aussi inspirants sont importants pour le moral ?


MLK - Dans un certain sens, les chants sont l'âme d'un mouvement. Pensez à Louez le Seigneur et passez les munitions, pendant la seconde guerre mondiale ; Là bas et Tipperary pendant la première ; L'hymne au combat de la république et john Brown's body, pendant la guerre de sécession. Une anthologie de la chanson noire comprendrait des complaintes, des cris de joie, des appels au combat, des hymnes. Depuis les temps de l'esclavage, le Noir a chanté tout au long de ses luttes en Amérique. Comme un voleur et Descends Moïse étaient des chants inspirants et pleins de foi que l'on entonnait dans les plantations. Pour les raisons qui incitaient les esclaves à chanter, les Noirs d'aujourd'hui chantent la liberté, car nous sommes, nous aussi, enchaînés. Nous chantons notre détermination, nous chantons que "Nous l'emporterons, Blancs et Noirs, tous ensemble, un jour, nous l'emporterons." Je voudrais aussi vous signaler une parodie musicale que j'ai beaucoup appréciée et que les Noirs chantaient pendant notre campagne à Albany, en Géorgie : "Me voici, j'arrive / Et j'baisse pas la tête bien bas / J'me tiens tout raide, j'cause très haut / J'suis le nouveau Noir de l'Amérique."


Playboy - L'insatisfaction dont vous faites montre envers la loi sur les droits civiques reflète celle de la plupart des autres porte-parole des Noirs. Pourtant, selon des sondages récents, cette attitude irrite bien des Blancs qui tiennent les Noirs pour des "ingrats" et leur reprochent de "manquer de réalisme" lorsqu'ils présentent déjà avec insistances de nouvelles revendications.


MLK - C'est une litanie familière aux oreilles de tous ceux qui se trouvent avec nous sur le terrain. "Qu'est ce que le Noir veut de plus ?" "Que lui faut il encore pour qu'il mette un terme à ces manifestations ?" Eh bien, je voudrais répondre par une autre question oratoire : "Pourquoi les Blancs semblent il trouver si difficile de comprendre que le Noir en a assez, qu'il n'en peut, plus de se voir livrer de mauvaise grâce, par petits paquets, ces droits et ces privilèges que les autres reçoivent à leur naissance ou à leur arrivée en Amérique ?" Je ne cesse de m'étonner devant la stupéfiante présomption d'une grande partie de la société blanche qui se croit le droit de marchander la liberté au Noir. Cette persistante arrogance qui consiste à débiter de petits morceaux de droits civiques au Noir commence à provoquer sa fureur. Même ainsi, il ne crie pas vengeance, ne veut empiéter sur les droits de personne, ne demande pas de butin, ne cherche pas à réduire autrui en esclavage, ni même à épouser les sœurs de ceux qui l'ont offensé. Ce que le Noir demande -et il n'aura de cesse avant de l'obtenir- c'est la liberté et l'égalité absolues et sans réserves, ici même, dans le pays où il est né, et non pas en Afrique ni dans quelque état imaginaire. Le Noir ne se contentera plus que de son dû, à savoir rien moins que ses droits et son héritage. Il exige ce qu'il sait être à lui en toute honnêteté. Il se sent fort de son bon droit.
Mais chaque dirigeant noir n'a rien dit d'autre, depuis le début du siècle, sous quelque forme que ce soit. Or, la société blanche s'est appliquée à nous ignorer pendant si longtemps que la crise a pris ses proportions actuelles. Il est peu de Blancs, même aujourd'hui, pour admettre clairement que l'avenir et le destin même du pays dépendent de la réponse qui sera faite aux Noirs. Et cette réponse doit être donnée rapidement.


Playboy - Il se trouve relativement peu de gens pour contester la légitimité de la lutte pour l'élimination des injustices raciales, mais bien des Blancs estiment que les Noirs devraient se montrer plus patients, que seul le temps -peut être le temps de plusieurs générations- modifiera les attitudes et les habitudes aussi radicalement qu'ils le veulent. Pensez vous que cela soit vrai ?


MLK - Non, je ne le pense pas. J'estime que le temps est toujours venu de faire ce que l'on doit faire. En ce qui concerne les progrès à réaliser, en faveur du Noir américain, il se produit une dramatique erreur sur le travail du temps, dans l'esprit des Blancs. Ceux ci semblent affectionner une notion étrange et irrationnelle selon laquelle il y a quelque chose dans le passage du temps qui guérit tous les maux. A vrai dire, le temps est neutre en soi, ni plus, ni moins. Je crois, chaque fois davantage, que le temps a été utilisé à des fins destructrices par des gens de mauvaise volonté, bien plus qu'il n'a été utilisé de façon constructive par des gens de bonne volonté.
S'il me fallait préparer un calendrier pour établir l'égalité en matière de droits civiques, ce serait dans l'esprit de "hâte réfléchie" que spécifie la décision prise par la cour suprême en 1954. Or que s'est il passé? Un arrêt de la cour suprême a été reçu et nargué avec une volonté de défi outré. Dix ans plus tard, dans la plupart des circonscriptions du sud, moins de 1 % des enfants noirs fréquentent des écoles intégrées ; et dans une partie du Sud le plus profond, la proportion est inférieure à 1 pour mille. Autre exemple : environ 25 % des jeunes Noirs désireux de travailler sont sans emploi. Même s'il y a des gens que cela gène, il nous faut constater que les progrès du Noir -dont les Blancs modérés font état pour justifier qu'ils soient échelonnés- ont été relativement insignifiants, surtout si l'on considère la masse de la population. Les maigres progrès qui ont été réalisés -et cela comprend la Loi sur les droits civiques- ont bénéficié principalement aux Noirs de la classe moyenne. La situation des masses, spécialement dans les ghettos du Nord, demeure à peu près identique et même, dans certains cas, elle a empiré.


Playboy - S'il est moralement correct pour les partisans des droits civiques de violer les lois sur la ségrégation qu'ils tiennent pour injustes, pourquoi serait il mauvais que les ségrégationnistes s'opposent à l'application des lois sur l'intégration qu'ils considèrent, eux, comme injustes ?


MLK - Parce que la ségrégation, comme le savent les ségrégationnistes eux mêmes, au fond de leur cœur, est moralement un mal et un péché. Sans cela, le Sud blanc ne serait pas hanté, comme il l'est, par un profond sentiment de culpabilité en se rappelant tout ce qu'il a fait endurer au Noir -car il est coupable de l'avoir vassalisé, dégradé, brutalisé, dépersonnalisé, réifié ; coupable de s'être menti à lui même. Telle est l'origine de la schizophrénie dont souffrira le Sud tant qu'il n'aura pas traversé sa crise de conscience.


Playboy - Bien des sudistes blancs, s'appuyant sur les "recherches" de divers anthropologues sudistes, proclamant que la supériorité de la race blanche -et l'infériorité du Noir- sont des données biologiques.


MLK - Vous vous rappellerez que durant l'ascension de l'Allemagne nazie, toute une fournée de livres émanant de savants allemands respectés soutenaient la théorie de la race des seigneurs. Cette opinion fallacieuse, fondée sur une extrême ignorance, a été réfutée de façon si constante par les sciences sociales et la médecine qu'il faut fréquenter des cercles absolument égarés et de plus en plus restreints pour y croire. L'American Athropological Association a adopté à l'unanimité une résolution qui répudie les déclarations selon lesquelles les Noirs sont biologiquement inférieurs aux Blancs en matière d'aptitudes mentales innées ou de toute autre façon. L'autorité et le poids collectifs de la communauté scientifique s'expriment dans le Rapport sur les races publié par l'Unesco, qui réfute carrément la théorie de la supériorité innée d'un groupe ethnique sur un autre. En ce qui concerne le "sang" noir, les sciences médicales enregistrent l'existence de quatre groupes sanguins identiques dans tous les groupes raciaux.
Quand le Blanc du Sud acceptera ce simple fait -et il devra bien y venir- cela aura pour merveilleux résultat de transformer, après si longtemps, le rapport de maître à serviteur en un rapport de personne à personne. Le Blanc du Sud qui découvre le Noir, au delà du mythe, déploie toute la passion du nouveau converti quand il voit pour la première fois l'homme noir comme un homme parmi d'autres. Le Sud, s'il veut survivre sur le plan économique, doit accepter des changements spectaculaires et y inclure le Noir. Les gens de bonne volonté, dans le Sud, c'est à dire la grande majorité, doivent relever un défi : se montrer ouverts et honnêtes, et faire la sourde oreille aux cris perçants de quelques irresponsables, des marginaux à l'esprit dérangé. Je pense qu'ils y parviendront et je prie pour qu'il en soit ainsi.


Playboy - Vous rejetez catégoriquement la violence comme technique et comme tactique en tant que moyen d'introduire des changements dans la société. Ne peut-on alléguer cependant que la violence, au cours de l'histoire, a été l'instrument de bouleversements sociaux massifs, parfois constructifs, dans certains pays ?


MLK - Je serais le premier à dire que certaines victoires, dans le passé, n'ont été rendues possibles que par la violence. La Révolution américaine en est certainement l'un des principaux exemples. Mais la Révolution noire a pour but l'intégration, pas l'indépendance. Ceux qui luttent pour leur indépendance veulent chasser les oppresseurs. Mais ici, en Amérique, il nous faut vivre ensemble. Nous devons trouver le moyen de nous réconcilier les uns avec les autres pour former une seule communauté. La lutte du Noir, pour être couronnée de succès en Amérique, doit être menée avec résolution, mais à l'intérieur du cadre même de notre société démocratique. Cela signifie qu'il nous faut toucher, éduquer, faire évoluer des groupes assez larges de membres des deux races pour remuer la conscience de la nation.
Playboy - L'un des sujets les plus controversés de l'an dernier, à l'exception des droits civiques, a été la question de la prière à l'école ; un arrêt de la cour suprême l'a déclarée illégale. Le gouverneur Wallace, parmi bien d'autres, a dénoncé cette décision. Quel est votre sentiment là dessus ?
MLK - J'approuve le verdict. Je pense qu'il est correct. Contrairement à ce que beaucoup en ont dit, il ne vise pas à mettre hors la loi la prière ni la foi en Dieu. Dans une société pluraliste comme la nôtre, qui donc a le droit de dire quelle prière il faut faire réciter et par qui ? Ni la loi, ni la constitution ni aucun autre texte ne confèrent ce droit à l'État. Je suis fortement opposé aux efforts qui ont été réalisés pour faire annuler cet arrêt. Ils ne sont inspirés, je crois, que par le désir de mettre la cour suprême en difficulté. Quand j'ai vu frère Wallace monter à Washington pour témoigner contre l'arrêt lors des auditions organisées par le congrès à ce propos, cela m'a renforcé dans ma conviction que la décision était correcte.


Playboy - Vers la fin de 1963, vous aviez écrit : "Quand je tourne les regards vers 1964, je distingue clairement un fait sans équivoque : la poussée du Noir vers son émancipation complète s'accentuera au lieu de diminuer." Comme l'ont prouvé les émeutes de l'été dernier, ces mots étaient malheureusement prophétiques. Prévoyez vous de nouvelles violences pour cette année ?


MLK - Dans la mesure ou le Noir ne se trouvera pas bloqué au cours de sa marche en avant, je crois que l'on peut prédire une diminution des violences. Je ne veux pas dire qu'il n'y aura pas de manifestations. Il y en aura assurément car le Noir n'a jamais rien obtenu dans le domaine des droits civiques sans exercer une intense pression par les voies légale et extra légale...
Notre programme d'action directe non violente a déjà prouvé sa vigueur et son efficacité dans plus de mille villes américaines où a eu lieu une sorte de baptême du feu ; il sera donc poursuivi pour que nos manifestations attirent l'attention sur les injustices locales subies par le Noir, jusqu'à ce que dernier responsable de ces injustices soit contraint de négocier ; jusqu'à ce que le Noir obtienne enfin les droits constitutionnels qui lui ont été refusés ; jusqu'à ce que notre société, au bout de tant de temps, finisse par devenir incurablement, et triomphalement aveugle aux couleurs.


Playboy - Par votre dévouement, vos qualités de chef, à la tête du combat livré pour que ces buts soient atteints, vous avez bien mérité de devenir le plus jeune lauréat du prix Nobel de la paix au mois d'octobre dernier. Comment avez vous réagi en apprenant la nouvelle ?


MLK - Je me suis senti très humble, en vérité, j'aimerais penser que le prix ne m'a pas été attribué à moi personnellement, mais à tout le mouvement pour la liberté et aux vaillants militants des deux races qui m'ont entouré au cours du combat pour les droits civiques grâce auquel le rêve américain deviendra réalité. Je crois que l'attribution d'une récompense internationale aussi connue attirera plus encore l'attention sur notre lutte, vaudra davantage de sympathie et de compréhension à notre cause, dans le monde entier. Je me plais à penser que le prix est un hommage symbolique au courage et à l'étonnante discipline du Noir américain qui a mérité de les voir porter à son crédit et à jamais. Certes, il y a eu des émeutes, mais sans la discipline instaurée par les adeptes de la non violence l'effusion de sang que nous aurions connue aurait été vraiment terrifiante. Il y a là de quoi réconforter bien des Blancs dont le sentiment est que le mouvement pour les droits civiques commence à nous échapper des mains. Cela peut leur permettre de voir qu'il s'agit d'un combat foncièrement discipliné, de mesurer la signification de notre lutte, de constater qu'une grande bataille pour la liberté de l'homme peut être livrée dans le cadre d'une société démocratique.


Playboy - Croyez vous que l'objectif sera atteint de votre vivant ?


MLK - Je dois l'avouer : Je ne crois pas que ce soit pour demain matin. La notion de suprématie est si profondément enracinée dans la société blanche que la couleur de la peau ne cessera d'entrer en ligne de compte avant bien des années. Mais mon espérance, mon rêve, est certainement que nous y parviendrons. En vérité, la pierre angulaire de ma foi en l'avenir est que notre société sera, un jour, étroitement intégrée. Je crois qu'avant la fin du siècle, si le courant continue d'aller et de se développer dans le même sens, nous aurons franchi une longue, une très longue étape vers cet objectif.

http://lewebmarron.free.fr/